C'était un temps de tournois et de chevaliers, de princes et de princesses, de rois et de batailles...
Mais en ce temps-là comme en tout autre, les chevaliers, les princes, les princesses - le roi lui-même - s'ils voulaient batailler, s'ils souhaitaient tournoyer, étaient égaux au plus modeste des paysans : les uns comme les autres, des tables les plus pauvres [revoir synonymes modestes et tables] aux banquets les plus prestigieux du royaume, tous se nourrissaient de pain.
Ainsi, loin des tournois, loin des batailles, les majestueux et indolents moulins étaient des lieux de toute première importance.
Dans celui qui nous intéresse, on y trouvait une véritable ménagerie : un fringant baudet (honnête créature de bât), un chat ventripotent (chargé de chasser les rongeurs), une famille de souris (car les chats sont des paresseux), et d'innombrables araignées (car un moulin est un lieu tout en madriers, sous-pentes, et solives, autant d'invitation à se faire une toile).
L'une de ces araignées, toute jeune et déjà industrieuse, s'occupait de la sienne de toile, quand elle s'arrêta tout net. Des idées l'accaparaient, s'imposaient à elle, et rapidement devinrent de la plus haute importante. Cette paisible représentante des Araneae ne savait pas filer la métaphore, mais elle était consciente qu'elle resterait engluée dans la toile de ses pensées tant qu'elle ne résoudrait pas ses interrogations. Il faut dire que du haut de sa poutre, elle avait une vue plongeante sur l'intérieur du moulin. Bien assez en tout cas pour observer la famille de souris qui vivait en bas.
Et de les observer, elle ne s'en privait pas. Et de là, naissaient ses questions : - Et moi, n'ai-je donc pas de famille ? Et elle avait beau fouiller sa mémoire, nulle réponse ne lui venait. Elle voyait la maman souris s'occuper de sa ribambelle d'enfants, et s'émouvait devant ce spectacle, mais cela ne ravivait aucun souvenir. Était-elle née spontanément, sur sa toile ? Elle en doutait, mais son doute ne lui apportait aucune autre alternative.
Elle prit son courage à quatre pattes (les quatre autres lui servant à se tenir bien accrochée pour éviter la chute) et fit quelque chose qu'elle n'avait jamais fait jusqu'alors : elle traversa sa poutre pour entrer dans le domaine d'une autre araignée, une grande faucheuse, qu'elle avait toujours vue là. Si quelqu'un pouvait l'aider, c'était bien elle. Polie, elle avait prévu de s'arrêter juste avant la toile de son aînée : elle voulait discuter, en aucun cas déclencher l'ire de l'autre. Les araignées sont souvent chatouilleuses en matière de propriété privée.
En effet, la faucheuse vint au devant d'elle dès qu'elle l'aperçut, toute sifflante et grondante. Arana s'inclina en signe de bonne foi, la tête baissée. (Les araignées n'ont pas de tête à proprement parler, mais un céphalothorax. Toutefois, elles l'utilisent tout à fait comme nous utilisons notre tête.) Elle se présenta du mieux qu'elle le put : - Je suis Arana-de-la-poutre-en-face. Je viens pour parler.
La faucheuse souleva trois sourcils glabres, manifestement étonnée. Elle se remit à gronder et siffler de plus belle, se mettant à se balancer sur ses nombreuses pattes. Vous ne le savez peut-être pas (mais Arana, elle, le savait), c'est un signe de grande colère chez les créatures à huit pattes. Elle n'insista pas et recula prudemment. - Elle me prend pour une rivale. C'est bien dommage. Mais que puis-y faire ? Et elle n'avait toujours pas de réponses à ses questions.
Alors, elle fit quelque chose qu'elle n'avait jamais fait jusqu'alors : elle fila une longue longue toile et glissa jusqu'au sol. Tout au long de sa descente, Arana se sentait à la fois grisée et terrifiée. Le sol, elle le connaissait bien, pour l'avoir maintes fois observé. Mais venir y poser ses propres pattes, c'était une autre affaire. Et de fait, une fois arrivée elle eu bien du mal à se reconnaître. Voir les choses d'en haut, c'était bien différent. Pattes après pattes après pattes, elle avança dans cet univers méconnu. Elle allait droit vers le gros chat roux qu'elle avait repéré. Elle le savait d'un caractère ombrageux pour l'avoir vu chasser des mouches, des souris, et parfois même des araignées. Elle tiendrait ses distances. Mais si quelqu'un ici pouvait lui répondre, c'était bien lui. Arrivée à trois pas, elle se présenta. - Je suis Arana-de-la-poutre-en-haut. Je viens pour parler. Le félin ouvrit un œil, souleva un sourcil broussailleux, mais ne bougea pas plus. Plutôt encourageant.
– J'ai des questions et je ne sais à qui les poser.
– Va, je vais t'aider, c'est promis, soupira le félin. Et pour ton information, je suis Barrigoudo. Mais tu peux m'appeler Barry. Je suis un peu le maître de ces lieux. Raconte-moi ton histoire.
– Elle est bien simple : je cherche mes parents. Je n'en ai pas de souvenirs. Voilà tout.
– C'est tout ? Ce n'est guère intéressant en vérité... À la réflexion, si ton histoire avait été intéressante, je t'aurais aidé. Mais là, franchement... Et, sans doute trop fatigué pour formuler sa pensée, il referma son œil.
Arana recula, ruminant sa première leçon : les chats ne sont pas du genre à tenir leurs promesses. Une leçon, c'est déjà bien, mais ce n'était pas suffisant pour elle. Alors, elle fit quelque chose qu'elle n'avait jamais fait jusqu'alors : elle sortit du moulin. Elle se faufila sans mal sous la porte. De là, elle put voir le vaste monde. Et pour être vaste, ça il l'était. Et lumineux aussi. Mais étonnamment calme, tout juste le caquettement de quelques poules, couvrant par moment le débat entre la rivière et les grillons. Ici, pas d'engrenages ni de lourde meule. Ce qui ne manquait pas d'étonner Arana. Le monde en plus d'être vaste était décidément bien curieux...
N'ayant qu'une confiance très limitée dans les poules, notre petite aventurière se dirigea vers un noble animal au poil gris, et au museau blanc : un baudet. Un beau représentant de sa lignée, placide, le regard dans le lointain, l'esprit au repos.
Arana grimpa sur un arbuste, et une nouvelle fois, se présenta : - Je suis Arana-de-la-poutre-du-moulin, je viens pour parler.
Le noble animal ouvrit deux grands yeux ronds : - Bonjour, toi. Moi, je suis Terko, je crois. Et il se remit à brouter l'herbe rase.
Il n'était ni hostile, ni railleur, ni même supérieur. Mais il ne semblait pas non plus bien curieux d'Arana ou de sa quête. Mais cela n'était pas suffisant pour arrêter notre héroïne.
– Je n'ai pas de souvenirs de mes parents, je les cherche.
Sans s'arrêter de brouter, l'animal dressa l'oreil en direction de la petite araignée. C'était toute l'attention dont il était capable.
– Je cherche mes parents. Pourrais-tu m'aider ? renchérit-elle.
– Oh ? Moi ? Je voudrais bien t'aider, petite, ça ferait même une belle aventure... mais je me souviens tout juste de mes propres parents... Enfin, je crois.
Arana apprenait là sa seconde leçon : ce n'est pas parce que les gens sont amicaux qu'ils peuvent vous aider. Deux leçons, c'était vraiment très bien, mais pas suffisant pour autant. Mais que pouvait-elle faire d'autre pour retrouver la trace de son ascendance ?
Le baudet, tout en tranquillité, ajouta : - Mais je crois que je me souviens de quelqu'un qui sait répondre à ce genre de questions.
– Vraiment ? Et qui est-ce donc ? Puis-je le rencontrer ? demanda Arana, toute excitée.
– C'est une sorte d'oiseau, je pense, et il est très intelligent, ça c'est sûr. Il habite au village... Terko reflechit un instant et conclut : c'est un sacré bout de chemin pour quelqu'un d'aussi petit que toi. Mais si tu montes sur mon dos, et que nous faisons le chemin ensemble, ça ira beaucoup plus vite. Allez grimpe.
Ainsi Arana fit quelque chose qu'elle n'avait jamais fait jusque là : elle s'en remit totalement à quelqu'un d'autre. Elle grimpa donc sur le sympathique baudet. C'était une bien étrange sensation, il y avait sur son dos plus de poils qu'elle n'aurait pu en compter. Et puis il fallait une certaine dose de confiance aussi, mais notre héroïne n'en manquait pas. D'ailleurs Terko ne ressemblait pas un menteur. Ce dernier prit un chemin pierreux et bientôt le moulin commença à disparaitre. Arana avait toutes ses paires d'yeux braquées sur l'édifice : c'était la seule demeure qu'elle eut jamais connu, et s'en éloigner était effectivement une sacré aventure. Elle remarqua une sorte de renard grassouillet tenter de les suivre [tâche rousse se faufiler] en catimini, mais n'y prêta guère attention. Il y avait simplement trop de choses à regarder.
Arana l'héroïne Barri(goudo) le matou Terko le mulet/baudet Gayo le perroquet Simon le ouistiti babouin magot simien macaque hypocrisie sagouin rusé sagace