C’est bien la première fois qu’Elise assistait à un cours donné par quelqu’un de plus jeune qu’elle, mais elle ne le regrettait pas : Charles était un bon professeur. Peut-être un peu trop conciliant, il ne recadrait pas assez ses étudiants sur le sujet de son cours. Mais ici, les élèves n’avaient rien de trublions. Quand les troisième année quittèrent enfin la salle 107, il ne resta plus qu’Elise et le San Baka Trio. C’était le bon moment pour parler des craintes qu’elle avait concernant la partie qui lui incombait, bien sûr, mais elle préféra attendre un peu, préférant voir comment le vent allait tourner.
« - Voilà, fin du cours. On peut revenir à Maestro ! entama Charles.
- Et bien, en tout cas, je sais que les cours sont sensés être une couverture, mais n’empêche que celui-ci était très bien. Moi j’ai beaucoup apprécié !
- Ah… Dans ce cas : merci, Elise. »
Les deux autres compagnons se regardèrent interloqués. Soit ils n’avaient jamais remarqué les qualités pédagogiques de Charles, ou bien ils estimaient que se congratuler ainsi était notoirement honteux car trop féminin. Bertrand n’ayant pas l’intention de s’appesantir sur la question, il ramena la conversation vers Maestro.
« - Vous serez heureux de l’apprendre, j’ai une version fonctionnelle de l’application, la build 41. Elle intègre les dernières modifications envoyées par Denys.
- C’est justement pour ça que je voulais qu’on se réunisse. On va la tester, cette version.
- Je suis désolée de faire encore ma chieuse, mais je suis la dernière arrivée ici, alors je ne suis pas au courant de tout. Du coup, je me demande : c’est quoi les dernières modifications en question ?
- Tu sais, lui répondit Adam, moi je suis dans le truc depuis le début, mais je suis quand même largué avec toutes les modifs qu’il nous a envoyées. Il nous en poste au moins une par mois.
- Adam, tu donnes le mauvais exemple, là ! Bertrand, ça porte sur quoi cette fois-ci ? »
Bertrand fit semblant de consulter des feuilles qu’il avait dans son sac avant de répondre : « - à vrai dire, j’en sais trop rien, concéda-t-il. C’est de l’assembleur. D’après son mail, ça devrait lisser la charge réseau. Ça vous va ? »
Il n’aimait pas être pris en défaut, ça le rendait hargneux. Avant l’arrivée de cette fille, tout le monde se faisait confiance, personne ne demandait de détails de ce genre là ! Il se demandait vraiment si elle arriverait à s’intégrer. Pour l’instant du moins, elle semblait satisfaite de la réponse.
« Merci Bertrand. Je propose tout simplement de tester cette nouvelle version, dès de ce soir.
- En général, c’est moi qui enfonce les portes ouvertes, alors j’en profite : tu te souviens que la dernière fois on a bien failli se faire griller ?
- Oui, Adam, je me souviens. Mais cette fois, on a un banc de test. »
Bertrand pencha la tête et se mis à cogiter. Adam le suivit avec à peine quelques secondes de retard. Elise, elle, nageait complètement : comment tester Maestro sans le déployer sur le réseau de l’école ? Elle ne voyait pas comment tout cela était possible. Mais plus encore, si Charles avait trouvé une solution, et manifestement c’était le cas, pourquoi les faire poireauter comme ça ?
Alors qu’on aurait pu prendre les deux autres pour des pc en train de défragmenter, Charles s’approcha d’elle : « Tu sais, ici, on est préfère les problèmes aux solutions ! »
Voilà : elle avait enfin l’occasion de lui dire qu’elle, elle préférait de loin les solutions, et que justement le problème qu’ils lui avaient posé n’en avait pas ! Il comprendrait, et avec un peu de chance, il ne serait même pas déçu… Et pourtant, encore une fois, elle n’osa pas.
« - Les réseaux exotiques, s’exclama soudain Bertrand. Bien sûr ! J’aurais dû y penser tout de suite !
- Quoi ? Comme quand on a joué à Multi-Access Dungeon ? demanda Adam.
- Mais oui, lui répondit-il surexcité, exactement. On peut monter un réseau complexe à l’intérieur des hyperviseurs : un réseau virtuel, reliant des serveurs virtuels à des clients virtuels, tout ça sans se connecter au reste de l’école ! »
Charles rayonnait, il était heureux que ses camarades aient résolu sa petite énigme. Mon dieu, pouvait-on être plus geek que ça, se demanda Elise. Mais la beauté de la solution lui apparaissait clairement, et c’est vrai que c’était génial : un vrai petit réseau pour eux tout seuls.
Charles ne les fit pas languir plus longtemps : « J’ai installé un petit réseau simplifié sur deux des trois hyperviseurs, et ça va nous faire déjà un très beau banc de test.
- Pourquoi pas le troisième ? interrogea Adam.
- Le dernier, je préfère le garder pour les cours, au moins dans un premier temps. Mais ça nous laisse une centaine de machines virtuelles pour nos essais, c’est déjà pas mal, non ? Tu en penses quoi Bertrand ? »
Pour toute réponse, ce dernier lui tendit une petite clé laquée de noir, à la plus grande joie des deux autres. Elise, elle devait bien l’avouer, se laissait contaminer elle aussi par l’atmosphère joyeuse. Tout le monde s’installa autour de Charles pendant qu’il chargeait le programme sur un serveur virtuel. Maestro Version 2.6 build 41 entrait en action. Ce n’était même pas une pré-alpha, mais autour de la console on se serait cru à Cap Canaveral un jour de lancement.
« Voilà, c’est parti !
- Et on doit s’attendre à quoi ? » demanda Elise.
Le San Baka Trio s’entre-regarda : la réponse était triviale.
« - En fait, il ne va rien se passer du tout, expliqua Bertrand, pas avant plusieurs heures en tout cas. Maestro commence par écouter, il prend ses marques. Il agit avec prudence.
- Oui, c’est assez logique bien sûr. Du coup, il vous faudrait une méthode d’analyse pour suivre son avancement, et avant ça, un programme maître pour interroger les instances en cours.
- Ma foi, intervint Charles, je n’y avais pas pensé… On va réfléchir à ça. »
Adam leur passa les bras autour des épaules : « - Eh, ça va, on a le temps, de toute façon. Maestro ne sera pas opérationnel avant que tu nous livres les modifications sur la base de données.
- Oui, les modifs, c’est vrai… »
Elle se dégagea pour pouvoir prendre un peu de recul. C’est qu’elle voulait pouvoir tous les regarder en face.
« - Ecoutez les mecs… Vous êtes sympa, et j’adore votre projet. D’accord ? Elle laissa quelques secondes que les garçons acquiescent. Je voulais que vous le sachiez, bon. J’ai étudié votre module de base de données… Bertrand, c’est toi qui l’avais interfacé ? Bon travail. Alors, je vais aller à l’essentiel : je ne pourrais pas faire mieux. Le code est parfait, il n’y a rien à améliorer, je suis désolée. » Et elle l’était vraiment.
Bertrand semblait perplexe, mais les deux autres souriaient.
«- Allez, vas-y, Charles… Fais ton numéro.
- Oh, ça va, Adam, merci… Ecoute Elise, je crois que tu te sous-estimes. On a un peu plus d’expérience que toi sur la question. Mais surtout, je veux te faire écouter quelque chose. Tu dois te dire que ça n’a rien à voir avec notre problème, mais, il faut absolument que tu écoutes ça… Ça pourrait très bien changer ta vie. »