Aussitôt rentrée, elle balança son sac sur une table avec une telle violence qu’un écran plat oscilla quelques secondes avant de reprendre sa position d’origine. Elle fulminait, et souhaitait que tout le monde le sache. Ses yeux verts jetaient des éclairs. Bertrand sembla littéralement se liquéfier.
« Je déteste qu’on prenne me pour une poire ! C’était quoi ce bordel hier ? Elle hurlait presque. Si c’était un problème technique, il fallait me prévenir plutôt que me prendre pour une idiote. J’ai déjà viré des mecs qui m’avaient raccroché au nez, alors je me demande franchement pour quelle bonne raison je vous lâcherais pas, ici et maintenant ? »
Il fallait bien qu’elle s’arrête, à un moment ou à un autre, pour respirer, Adam en profita pour lui répondre.
« - Tu as plutôt intérêt à te calmer, ici et maintenant. Je t’ai choisie dans ce projet car je pensais que tu pourrais faire preuve de sang-froid. Continue à brailler comme ça et je saurais que je me suis trompé !
- Mais je… bafouilla-t-elle devant l’assurance d’Adam. Pas à dire, c’était vraiment un beau mec.
- Ensuite, ne me prends jamais pour idiot : si tu avais l’intention de nous lâcher, tu ne serais pas montée jusqu’ici pour faire ton esclandre. Je t’imagine parfaitement en train de t’entrainer à me crier dessus devant ton miroir ! Que tu sois mécontente, je le comprends, mais ça ne t’autorise pas à agir comme tu le fais. Charles va tout t’expliquer.
- Et il est où, celui-là ? lui demanda-t-elle, histoire de détourner la conversation : il était un peu trop facile d’imaginer qu’Adam n’était qu’un beau mec. On oubliait aisément aussi qu’il était intelligent.
- Il est pas encore sorti du cours de mathématique… Il voulait discuter d’un truc avec Monsieur Mazeillon. Ça c’est son petit côté élève modèle. Adam s’aménagea une petite pause afin de capter son regard. Tu sais que tu es mignonne quand tu es en colère ?
- Va te faire voir ! se renfrogna-t-elle. Beau, et intelligent, certes. Mais aussi un dragueur de la pire espèce. J’étais pas en colère : je haussais le ton, c’est tout. »
Elle s’installa derrière une bécane en maugréant. Bertrand semblait aussi impressionné que s’il avait vu un combat de catch se dérouler à moins d’un mètre de lui. À ses yeux, Adam était devenu une sorte de demi-dieu, capable de se battre à main nue contre les plus furieuses créatures de toute la création.
Quand, une dizaine de minutes plus tard, Charles arriva dans la salle, ils avaient l’air de trois enfants sages. Il devait toutefois rester quelque chose dans l’air, une odeur d’ozone ou un relent d’électricité statique, car Charles sentit qu’il y avait un malaise. Un peu embarrassé, il salua Elise.
« Salut Elise ! Je dois te présenter des excuses pour hier. Ça ne devait pas se passer comme ça.
- C’est ok. Je voudrais simplement savoir ce qui s’est passé au juste.
- Bien sûr… C’est ma faute. Tu te souviens de mon bot, Nyquist ? À une époque pas si lointaine, il était chargé de la sécurité. Par exemple, quand le contenu des messages pouvait être trop compromettant, il déconnectait tout.
- Par exemple : quand quelqu’un parlait de cracker des clés privés ?
- Tout juste, oui. J’ai bien essayé de te prévenir après mais ton serveur mail m’a renvoyé une erreur. C’est l’adresse que j’ai trouvée dans ton dossier scolaire…
- Ah oui, c’est pas étonnant ! Bon, c’est pas grave : l’important c’est que je le sache maintenant. »
Derrière son écran, Bertrand toussota. L’orage était passé, certes, mais sa nature prudente prenait le dessus. Charles comprit néanmoins le message.
« - Oh, et au fait, tu avais parfaitement raison, avoua Charles. Il prit des airs de conspirateur avant de continuer : nous voulons effectivement factoriser de très grands nombres dans le but de cracker des clés privées.
- Oui c’est bien ce que je pensais. Mais la bonne question c’est : quelles clés ?
- Elle est futée, hein ? intervint Adam.
- Ça, je n’en ai jamais douté. Notre objectif, c’est le serveur central de l’école, tout simplement.
- Alors un petit scoop les mecs, c’est un des systèmes informatiques les plus sécurisés au monde !
- Ah oui ? Et comment le sais-tu ? lui demanda Bertrand.
- C’est dans la plaquette de présentation de l’école.
- En effet, et tu sais pourquoi ? insista-t-il.
- Pourquoi quoi ? Elise semblait un peu perdue.
- Pourquoi cette école est-elle la plus sécurisée au monde ?
- Parce que l’informatique est la matière de prédilection enseignée dans cette école… je suppose.
- Tu inverses la cause et la conséquence. Mais peu importe ! En tout cas, c’est pour ça que c’est notre objectif » conclut Charles.
Elle semblait dubitative. Mais pour autant il était évident qu’elle était en train de réfléchir aussi vite que possible. Elle connaissait assez les geeks pour les entendre penser.
« - C’est parce que c’est ultra-sécurisé que c’est votre objectif, c’est ça ?
- Bah en gros, oui. En théorie, l’idée c’est de pouvoir bidouiller nos notes, vu que le serveur héberge entre autres les archives scolaires…
- Mais si vous êtes assez malin pour pirater le serveur, sans doute que vous n’aurez jamais besoin de bidouiller vos notes !
- Oui, c’est vrai. C’est juste histoire d’avoir un objectif pratique, tu comprends ? Et par exemple, on aurait pu remplacer tes zéros en Bases de Données… Tu ne les méritais pas.
- Ouais, ouais, mais le serveur est au beau milieu de la DMZ de l’école. Vous voulez trouver la clé qui ouvre la porte de la plus haute tour laquelle se trouve au milieu du donjon, lequel se trouve au milieu du château, lequel est entouré de douves. C’est un bon résumé ?
- Je crois que je suis amoureux, soupira Bertrand, s’attirant les rires de tout le monde.
- Bonne analyse, Elise, reprit Charles, une fois le calme revenu. Mais nous avons un avantage non négligeable : nous sommes à l’intérieur de l’école. Donc nous avons passé les douves et les remparts du château. Il nous reste juste à trouver la clé de la tour, c’est-à-dire la clé du serveur, et à passer les murs du donjon, c’est-à-dire la DMZ. »
Elle avait du mal à cacher son excitation. Ces mecs étaient vraiment des malades, mais ils avaient l’air sûr d’eux. Elle se lança :
« - C’est génial ! Je suis avec vous à 100%. Mais pourquoi vous pensez que j’inverse les causes et les conséquences ? Pourquoi cette école serait-elle si sécurisée d’après vous ?
- Là, ma belle, il faudrait qu’on commence à te parler de Phaury, expliqua Adam. Il se mit à murmurer : c’est ma partie préférée. »