L'obscurité était absolument totale dans la chambre. Et pourtant la petite fille savait que le jour venait de se lever. Sous la porte, les échos assourdis de pépiements arrivaient jusqu'à elle. Et quand les oiseaux commençaient leur journée, c'est que le soleil était visible à l'horizon.
Bien à l'abri dans son lit, elle n'avait peur de rien et en particulier des ombres ! Mais quand elle se levait, par contre...
A bientôt six ans, elle n'avait officiellement plus peur des monstres. Et elle était d'accord sur ce point avec ses parents. Aucune raison d'être terrifiée par ce qui pouvait se cacher sous son lit, dans son placard ou derrière son bureau.
Et pourtant...
L'enfant orienta sa pensée différemment : elle repensa aux oiseaux. Les chants d'oiseaux voulaient dire que le soleil était levé. Si le soleil était levé, il y a avait encore moins de raison de craindre les monstres. Habituellement, le matin, c'est son papa qui venait la chercher. (Il remplaçait aisément n'importe quelle source de lumière.)
Mais aujourd'hui était un jour spécial : la veille de Noël. Ce qui voulait dire que son papa ne viendrait pas la lever avant très tard. Mais ça voulait surtout dire qu'aujourd'hui était un jour très spécial. Et elle comptait bien en profiter, pleinement. Elle fit un effort sur elle-même et décida de se lever. Elle serra contre elle Mr PikWik, le temps d'un câlin, avant de le glisser bien à l'abri sous son oreiller.
Avec une lenteur maîtrisée, elle se dirigea jusqu'à la porte. En se déplaçant lentement, elle pouvait mieux entendre les bruits de sa chambre. En plus, elle risquait moins de glisser ou de tomber. Enfin, une grande fille ne fuit pas ses peurs en courant mais les affronte courageusement. Le couloir menant à sa chambre n'était pas non plus éclairé, mais une pénombre diffuse lui permettait de se repérer. Ses petits pas absorbés par les tapis, elle se dirigea vers la cuisine : quelqu'un avait préparé à manger. Sa maman, sans doute !
"Coucou Sarite ! Comment va mon petit ange ce matin ?"
Son papa était là.
La petite fille sauta sur une chaise : "- C'est des latkes ? J'en veux, P'pa !"
Il la servit, sans toutefois oublier de la sermonner : "- Une jeune fille bien élevée aurait dit : 'Bonjour Papa, je peux avoir des latkes, s'il-te-plaît ?'
- Oui, s't'plaît, dit-elle en se jetant sur les galettes. Maman est réveillée alors ? demanda-t-elle, autant par curiosité que pour faire diversion.
- Non, mon ange : elle dort toujours. C'est une voisine qui nous a les amenés. Parce que tu sais quel jour on est ?"
La bouche pleine, l'enfant hocha la tête vivement. Un peu qu'elle savait qu'on était la veille de Noël ! Elle avait beau ne pas y croire, elle sentait quand même la magie du moment. Et puis, bien sûr, elle pensait aux cadeaux qui ne tarderaient pas à arriver !
"J'ai du travail à finir aujourd'hui, mais je voulais passer un peu de temps avec toi. A ma façon. Alors tiens : ça devrait t'occuper une partie de la journée !"
Il lui tendit une languette de papier, roulée sur elle-même. Elle la déplia avec soin et la lut :
Douceur d’une ouvrière obscure et sans grade,
Friandise princière, régal de plantigrade.