La jeune fille se sentait fatiguée et triste. Tout d'abord parce que la journée avait été longue, et ensuite parce qu'elle presque finie. Pendant des heures, elle avait réussi à déjouer les énigmes. Pour quoi au final ? Elle revenait à son point de départ, comme toujours. A peine un petit tour sur elle-même. Bon, au moins, elle n'avait pas eu le temps de s'ennuyer. Et elle avait fait quelques rencontres sympas. Un peu léger, toutefois, pour une journée qui s'annonçait magique. Est-ce que c'était ça le quotidien des adultes ? Tous les jours la même journée qui se répétait sans fin, ad nauseam... A ce rythme-là, elle n'avait guère envie de grandir. Elle pensait à Saba qui avait combattu pour leur sécurité, et qui en avait honte ; à Savta et à ses cauchemars de Katiouchas ; à Amanda plus à l'aise avec les abeilles qu'avec les gens ; à Hayder qui attendait la relève pour une poignée de bananes ; à Mr Pfitzermann qui se débattait avec la marée continuelle de nouveaux élèves à former ; à Gunny qui pensait que les armes les protégeaient ; aux parents d'Ethan qui ne s'entendaient plus ; à ses parents à elle, pour qui la vie n'était pas rose en ce moment. A sa façon, chacun était seul. D'ailleurs, alors que le soleil commençait à baisser, elle-même n'était-elle pas seule, là, désolée, à un coin de rue anonyme. Elle s'assit et avant même de comprendre ce qui arrivait, elle se mit à pleurer. Papa avait dit que Noël était parfois empreint d'une certaine nostalgie. Elle n'avait pas compris à ce moment-là... La Nostalgie la rattrapait.
A la fenêtre de la maison voisine, un petit garçon venait d'ouvrir les rideaux. Il installait une Hanoukkia, un chandelier à huit branches plus une. Chaque soir, à partir de demain, il allumerait une des lumières en souvenir de la ménorah du Temple de Jérusalem qui avait brûlé huit jours durant. Le petit garçon - avait-il quatre ans ? - était tellement impatient qu'il venait déjà positionner le chandelier. Il remarqua la fillette, assise et malheureuse et lui fit un signe de la main. Au moins, lui, il était heureux. C'était là une piètre consolation. Elle lui rendit son salut, et se leva. Il était temps qu'elle rentre chez elle. Suivant une étrange inspiration, elle ne prit pas le chemin le plus direct. Pensant au petit garçon, elle observa les fenêtres des maisons. Les lumières commençaient à s'allumer, et la vie s'inscrivait à contre-jour dans les petites lucarnes. Parfois, elle pouvait y observer des ombres s'y activer, quelques mouvements volés, un vieil homme décorant son intérieur, deux amoureux qui s'embrassent, trois petites filles qui scrutent la rue... Peut-être qu'elle se posait trop de questions, après tout. Ses pas, son étrange inspiration, l'avaient menée jusqu'ici, la maison d'Ethan.
De l'extérieur, la maison racontait la vie paisible d'une famille ordinaire. Les lumières y brillaient, aussi vives qu'ailleurs. Peut-être qu'il y avait encore de l'espoir pour les parents d'Ethan. Elle l'espérait. Elle allait partir quand elle le vit à la fenêtre. Lui aussi avait remarqué sa présence. C'était un peu gênant : qu'allait-il penser ? Il leva la main, la posant à plat sur le verre de la fenêtre. Ce n'était pas exactement un coucou. C’était… Elle comprit le message : “tu n’es pas seule”. D’ailleurs, n’était-ce pas le message du petit garçon de tout à l’heure ? Et Mamita avait dit : Reviens quand tu veux. Saba avait dit la même chose. Oui, Ethan avait raison, elle n'était sans doute pas seule. Elle lui fit un sourire et le laissa avec sa famille.
Sur la porte de sa propre maison, elle trouva une affichette.
Elle chagrine le matin,
Mais le soir redonne espoir.