Ce qui était super, avec Savta, c’est qu’elle avait toujours des anecdotes à propos… d’à peu près tout, en fait. Il faut dire qu’elle avait vécu une vie passionnante.

“- Et tu dis que ce petit Ethan va au stand de tir ?
- Oui, il y va, des fois.
- Il a raison. J’avais treize ans quand la guerre du Kippour a commencé, et si tu connais ton Histoire, tu sais sûrement que les chars syriens sont entrés par le Golan, pas si loin d’ici. Avec tes arrières-grands-parents, on a passé des journées à fortifiés les accès.
- Contre des chars ?
- Oui, on creusait des fosses pour bloquer leur approche, et avec le sable, on remplissait des sacs pour protéger les habitations. Les plus jeunes avaient déjà été évacués, bien sûr. On s’était organisés…
- Quelle époque !
- Que tu crois, ma petite chérie. Ca pourrait recommencer, si on n’y prête pas attention. L’été suivant, j’ai appris à tirer. Plus tard, pendant mon service, j’ai même appris à utiliser un M72.
- C’est quoi, Savta ?
- Un lance-roquette antichar. On a souvent l’impression qu’un simple soldat est démuni face à un tel monstre de métal. Mais ce n’est pas le cas. Avec le bon outil, la bonne formation, un seul individu peut renverser la situation.
- Saba s’est battu pendant la guerre du Kippour ?
- Penses-tu, il n’avait que quatorze ans. Il n’aurait pas dit non, remarque. Mais il a connu le feu en 82, au Liban-sud.
- Le feu ? demanda la petite fille”

Sa grand-mère semblait pensive, probablement perdu dans un lointain souvenir.

“- C’est l’expression qu’on utilise pour dire qu’on se fait tirer dessus par des ennemis. Mais je ne sais pas si ton Papa voudrait que je te parle de ça.
- Il dit que c’est en apprenant de ses aînés qu’on évite bien des erreurs.
- Il faut parfois faire ses erreurs soi-même pour que la leçon marque. Mais son conseil est fondé.
- Alors, et Saba ?
- Nous venions de nous fiancés et il avait été promu Lieutenant. Je n’étais pas enjouée de le laisser partir, tu penses bien. Il appuyait les Phalanges Libanaises. En face, ils avaient des Katiouchas. Ca ne rigolaient pas.
- C’est quoi ?
- Un orgue de Staline… Un lance-roquettes multiple montés sur un véhicule. Une sale invention, si tu veux mon avis. J’en faisais des cauchemars.
- Saba m’en a jamais parlé…
- Rien d’étonnant, il n’en parle jamais. Il l’a fait pour notre bien à tous. Pour moi, ta Maman et toi. Mais il préfère garder ça pour lui. Il croit que parler des démons les libère. Moi, je crois que ça les enchaîne. Va savoir qui a raison.
- Voui, je sais pas. Il a été blessé ?
- Il était prudent, il savait que je l’attendais. Mais il a vu des choses par contre.
- Il a vu quoi ?
- Cette histoire-là attendra un autre moment. Hanouka commence demain. Et même si mes récits sont édifiants, ils ne conviennent pas. Tu comprends l’allusion ?
- Oui, c’est la Fête de l'Édification.
- Ta Maman t’a bien appris. Prête pour ton énigme ? La voici.”

Elle est parfois artificielle ou bien encore naturelle.
Mais en l’accomplissant, on prend des risques importants.