C'est étrange, j'arrête pas de penser à Luca, mon filleul. Je me demande ce qu'il pourrait bien penser de moi s'il savait. Il y a peu de chance qu'il sache un jour. Ou alors sous le couvert d'une histoire fantastique ? N'empêche. Penserait-il que je suis un genre de super-héroïne, ou bien me verrait-il comme une tueuse sans âme ? Et puis, bien plus récemment, que penserait-il de la décision que j'ai prise au sujet du pauvre Taylor ? Le pauvre, intéressant, agaçant et terriblement mortel Taylor... Il considérerait sans doute que j'ai agi comme une lâche. C'est sans doute le plus probable. Moi je trouve ça vrai, de toute façon.
J'ai beau faire un effort de mémoire, je ne me souviens pas avoir jamais autant pensé à Luca. Enfin pas lorsque je suis Iz. En fait, je suis peut-être sous l'effet d'une machine des nématodes, une de celles qui me coupent de mon répétiteur.
"- Non : nous sommes toujours liés toi et moi."
La voix de Soulaï-Sym, là, profondément ancrée dans ma tête. Je n'ai pas envie de lui répondre, et comme il doit entendre chacune de mes pensées, je ne prends même pas la peine de faire semblant. Bon, je me trompais, je ne suis pas sous l'effet de la machine des nématodes. D'ailleurs quand c'est arrivé, c'est justement les souvenirs d'Elizabeth qui s'estompait, pas l'inverse. Je fais un tour sur moi-même, l'explication est sans doute plus simple. Tous les hôpitaux du monde, voire tous les hôpitaux de tous les mondes, se ressemblent. En particulier l'odeur entêtante de désinfectant. J'imagine que c'est ça qui fait remonter l'infirmière en moi, et les souvenirs qui vont avec. Et si j'ai l'esprit qui bat la campagne, c'est aussi parce que je déteste être inactive : je suis une machine, et à l'arrêt je finis par me gripper.
Mon attention se reporte sur les grandes fenêtres qui me séparent de l'extérieur. J'essaye d'apercevoir le Diamant (ou ce qu'il en reste) mais c'est peine perdue : l'hôpital est entouré d'immenses arbres sur trois de ses côtés. Comme ça, je dirais qu'ils appartiennent à la famille des frênes. Je suis obligée de puiser dans les connaissances d'Elizabeth : la dendrologie n'a jamais fait partie des matières enseignées à l'école des Exécuteurs. Pourtant ça pourrait m'être utile ici. Deslhan est connue pour être une des plus belles villes de tout Nebba. Beaucoup vous diront (mais pas moi) qu'elle est plus majestueuse que Bordēn. Je veux bien reconnaître qu'elle est de loin moins bruyante. Vous ne trouverez guère de glisseurs, et quasiment aucun fonceur. Ici, les habitants n'empruntent que rarement la voie des airs, ils préfèrent se laisser guider par des équi-mates, ces étranges équidés améliorés. Je veux bien croire qu'ils sont plus intelligents et plus résistants que des chevaux, mais je ne me fais pas au bobinage dynamométrique qui sort de leur boîte crânienne.
La technologie des ani-mates a été développée dans cette ville. Officiellement, elle est partagée avec le reste du Protectorat. Pourtant, les entomo-mates continuent à être produits par les machinistes de Deslhan. Dans les faits, si la cité exporte de nombreux ani-mates, les secrets de leur fabrication restent jalousement gardés ! En plus d'être une manne économique, ce savoir-faire a fait grandir l'influence de la cité d'Opale. En trente ans, Deslhan a vu son poids politique augmenter jusqu'à dépasser celui d'Albreich, la cité des Machinistes. Et si Bordēn n'était pas le cœur du système matriarcale, nous aurions du soucis à nous faire.
A Deslhan, la nature est omniprésente. Une certaine forme de nature en tout cas. En manipulant le biomagnétisme, les architectes locaux ont conçu des arbres de toutes les tailles et de toutes formes, les incorporant dans le décor urbain. Les résidents les plus nobles traitent leurs affaires dans d'improbables villas végétales. En quelques semaines, leurs artistes peuvent faire pousser des statues florales de plus de dix mètres. Le système d'orni-mate a été poussé à son paroxysme : le moindre oiseau que vous croisez peut être porteur d'une missive. Les charrettes de ravitaillement se déplacent sans conducteurs, tirés par des équi-mates maîtrisant leur itinéraire. Alors oui, peut-être bien qu'elle est majestueuse cette cité, mais à quel prix ? Celui d'une nature dévoyée ?
A mon grand étonnement, quelqu'un vient d'entrer dans ma sphère. Je n'ai pas l'habitude de me faire surprendre ainsi. Un Exécuteur vivant est un Exécuteur prudent. Cette inattention aurait pu me coûter cher, mais pas aujourd'hui : c'est juste le gouverneur Sakin qui me rejoint.
"- Par les premiers hommes, Exécutrice ! Vous avez besoin d'un soigneur !"
Entre les entailles dûes au verre amorphe, la brûlure de la kéramyde et l'explosion de l'étrive de Dak'Yarod, je ne dois pas avoir fière allure. D'accord, je ne suis peut-être pas pleinement opérationnelle, mais j'ai encore des choses à faire.
"- Est-ce que mes ordres ont été exécutés, Gouverneur ?
- Scrupuleusement. Je me suis départi de ma garde personnelle pour faire sécuriser le Diamant. J'ai fait mandé l'Exécuteur Cod. J'ai fait décoller deux unités combattantes. Une à la recherche de l'Adamōn et l'autre pour empêcher le guet-apens dont vous m'avez parlé.
- Avez-vous réussi à contacter la Reine ?
- Mes machinistes s'y emploient mais je crois savoir que leur système de communication n'est pas encore fonctionnel."
C'est sans doute cela. Ou alors l'éclaireur félon a réussi sa mission et l'Adamōn est perdu corps et biens. Est-il possible que la Reine soit morte ? Si c'est le cas, nous sommes perdus. Comme elle n'a laissé aucune descendance, une période de trouble est inévitable. Au final le Commodore Prac'h prendra le pouvoir : il est le seul à pouvoir rallier le conseil à sa cause. Mais Gharr et Esmyrion seront tombées, et possiblement d'autres. A ce stade, nous ne serons plus en mesure d'endiguer l'avancée des nématodes.
"Exécutrice ?
- Parlez-moi de l'opération qui se déroule au Diamant.
- Ma garde personnelle est sur place, et d'autres unités convergent vers eux. J'ai été averti que des combats s'y sont déroulés. Un petit groupe de parasites s'infiltrait par les tunnels. Mes hommes les ont surpris et éliminés, et depuis ils tentent de sceller les entrées.
- Vous pourrez féliciter vos hommes, Gouverneur. Mais ils ont besoin de l'Exécuteur Cod. D'ailleurs, si certains de vos hommes ont été blessés, il faudra les isoler de la façon la plus stricte qui soit.
- Qu'est-ce à dire ? Il y a un protocole pour ce...
- Protocole qui est insuffisant dans ce cas. Avec Taylor, nous avons éliminé le numéro deux dans la hiérarchie des nématodes. S'il infectait un seul de vos hommes, si un seul de ces vers sortait du Diamant, tout ceci serait remis en cause. L'isolement le plus strict. Suis-je clair ?"
Le Gouverneur Sakin n'est pas homme à se laisser guider sa conduite par une femme. Mais je suis Exécutrice, les nématodes sont de ma prérogative. Qui plus est, je dois faire suffisamment peur à voir pour qu'il n'ose pas me contredire.
"D'ailleurs, qu'en est-il de Taylor ?
- D'après le Médicum, vous l'avez sauvé en le ramenant ici. Il est encore dans un état... précaire. Mais il vivra.
- Il aura des séquelles ?
- Indubitablement. Sa jambe gauche a été profondément entaillée. Il semblerait qu'il tenait un objet conducteur quand la kéramyde s'est répandue. En conséquence, le froid s'est propagé très efficacement par ces points d'entrée. Il va perdre l'usage de sa jambe. Ses mains aussi probablement. Considérez que, sans vous, il serait tout simplement mort !"
Ainsi donc, j'ai fait le mauvais choix. J'aurais dû rester au Diamant, m'assurer que Dak'Yarod était mort, définitivement mort. Taylor aurait préféré se sacrifier pour cette certitude, plutôt que la vie d'infirme que je lui ai réservée. Enfin, c'est ce que je crois. Je sais fort peu de choses de l'Investigateur.
"- Que pouvez-vous me dire sur Taylor ? De façon plus générale, j'entends.
- Milady, ce n'est pas à moi de...
- Gouverneur, ce n'est pas la Lady qui demande, c'est l'Exécutrice qui exige ! Le nématode a laissé entendre que Taylor était un vilain petit canard. Je veux comprendre.
- Un vilain canard ? Je ne connais pas cette expression." Tu m'étonnes : Andersen n'est pas très célèbre sur Nebba.
"- Taylor est différent, mais en quoi ?
- La réponse est évidente : il n'appartient pas à la noblesse. Ses parents n'étaient même pas liés à l'Administration.
- Je vois...
- Notre société est progressiste mais quand même. Son père était simple soldat. Il a péri lors de la première offensive des parasites. Quant à sa mère, officiellement elle était chronomancienne."
Je fronce les sourcils, j'ignore de quoi le gouverneur parle. Il interprète mal mon expression.
"Je sais : la chronomancie n'est que foutaise. Personne ne peut prédire le futur. Elle aura menti au recenseur pour cacher la vérité. Si vous voulez mon avis, elle vendait ses charmes. Toujours est-il qu'elle a disparu lors de la chute de la cité Capitale. Tout cela pour dire que Taylor a bien de la chance d'être devenu Investigateur du Protectorat avec son passif.
- De la chance, ou du talent.
- Oui, oui, il est sûrement très doué. Je ne dis pas le contraire. C'est juste que..."
Nous sommes interrompus par un gros papillon de nuit qui vient voleter autour de la tête du gouverneur. Pas farouche, il vient jusqu'à se poser sur son épaule. Le gouverneur l'attrape d'un geste sûr, et sans autre forme de procès, lui écrase la tête. De son abdomen, il extrait une capsule. "Une vrille mémorielle" explique-t-il. Actionnant un mécanisme, il la porte à son oreille. Un son aigrelet en sort, mais trop ténu pour que je puisse y reconnaître des mots. Mon regard s'attarde sur le corps démembré du papillon de nuit. Non, décidément, je n'apprécie guère Deslhan.
"On me fait savoir que des éléments non identifiés ont été repérés en ville en contradiction du couvre-feu. Il semblerait qu'ils convergent... vers l'hôpital. Ici même !
- Maintenant que leur plan a été déjoué, les nématodes vont essayer d'en finir en beauté. Ils vont chercher à faire le plus de dégâts possible. Vous êtes probablement leur cible, Gouverneur. Vous devriez quitter les lieux discrètement. Je ferais de mon mieux pour les retenir.
- Me retrouver dehors ? Sans escorte, à la merci du moindre parasite ? Vous n'y pensez pas...
- Par la Lumière ! Restez si vous le voulez. Dans ce cas, trouvez-vous une bonne cachette. Moi je vais organiser un comité d'accueil."
Je suis peut-être diminuée, et mon corps a assurément grand besoin de la stase et de sa régénération kérostatique. Pour autant je ne peux pas laisser les nématodes saccager cet hôpital. Déjà parce que je me dois de protéger le gouverneur, mais plus encore parce que Taylor est toujours au bloc. Je descends les étages en rameutant tout ce que je peux trouver de vigiles ou au moins d'infirmiers costauds. J'en envoie condamner toutes les entrées secondaires. Le plan de la structure est à mon avantage : trois des côtés du bâtiment sont difficiles d'accès. D'après le rapport qu'a reçu le gouverneur, les nématodes ne cherchent pas à être discrets. Ils tenteront sans doute une attaque frontale. J'ai peut-être tort de faire condamner les issues, mais je préfère être prudente.
Une fois arrivée à l'entrée principale, je suis suivie par une quinzaine d'hommes. C'est pas mal, mais ce ne sont pas des combattants. Je leur explique mon plan, et ce que j'attends d'eux.
"Vous, là, les plus costauds, renversez les bureaux et les armoires. Nous allons édifier des barricades.
- Ça suffira à les arrêter ?" demande un grand brun.
"- Juste à les ralentir. Ce que je veux c'est créer un goulot d'étranglement. Je ne veux pas qu'il puisse me passer dans le dos et entrer dans l'hôpital.
- Et nous ?" interroge un soigneur.
"- Vous allez vous équiper de toutes les armes que vous pourrez trouver. Des manches de balais si vous ne trouvez rien d'autre. Votre but sera de protéger la barricade. Vous les repousserez vers moi. Il y a des malades dans cet hôpital, nous sommes leur dernière ligne de défense.
- Nous nous battrons jusqu'à notre dernier souffle", lance le grand brun. Et je le crois sincère.
"- Non, je suis celle qui se battra. C'est ma mission. Ne prenez pas de risques inutiles : les nématodes peuvent infecter vos blessures. Protégez-vous les uns les autres. Assurez-vous qu'ils n'escaladent pas la barricade. Renvoyez-les vers moi !"
Je sens comme un flottement dans les rangs. J'ignore où sont les nématodes mais ils peuvent arriver d'une minute à l'autre.
"Par la Reine ! Est-ce clair ?"
Mon invective a fait son effet. Et pourtant un jeune Médicum fait un pas en avant.
"- Mais ils vont vous tuer ! Vous êtes déjà à moitié morte...
- Je ne leur ferais pas ce plaisir. Et si ce doit être le cas, eh bien, je suis une Exécutrice, c'est mon rôle. Allons, nous avons beaucoup à faire !"
Pendant qu'ils s'activent, je réfléchis à leur étrange sollicitude. C'est la première fois que j'entraîne des civils dans la bataille. Ils semblent désolés pour moi. En savent-ils si peu sur les Exécuteurs ? Je n'ai pas le droit de faillir. Défendre le Protectorat est ma raison d'être. Je suis consciente que c'est idiot. Parce que je vais peut-être me sacrifier pour un lieu sans réelle importance stratégique. Je devrais servir l'intérêt du plus grand nombre. Esmyrion et Gharr doivent tenir à tout prix. Tout Nebba pourrait s'effondrer devant la menace des nématodes. Et moi je suis là. Quelque part, je me suis fourvoyée. Je n'arrive pas à savoir quand.
"- Quand tu as décidé de sauver ce Taylor ! Je dois dire que j'ai du mal à comprendre.
- Je croyais qu'on ne se parlait plus. Que ça pouvait dérégler la grande horloge cosmique ou un truc dans le genre.
- Tu persifles pour essayer de cacher ta culpabilité. Pourquoi t'entêter à le sauver ?
- Eh bien, dis-le moi, toi qui est dans ma tête !
- Tes pensées vivent dans mon esprit, c'est vrai. Je sens ce que tu sens. Mais j'ignore tout de tes intentions, de tes raisons.
- Ah oui ? Donc un traître pourrait se cacher parmi les Exécuteurs sans que tu le saches.
- Non, ça c'est à peu près impossible. J'entends vos pensées conscientes. Je vois ce que vous voyez. Cela laisse fort peu de place à la traîtrise.
- D'accord. Mais Yarod m'a parlé de la Terre. Il y a forcément un traître parmi nous. Alors je ne sais pas, moi... Ça c'est peut-être passé quand la connexion a été coupée à cause de la machine des nématodes ?
- J'ignore ce qui s'est passé pour vous pendant cette période, je le reconnais.
- Donc : c'est possible. Et c'est justement la thèse que défend Taylor. Le Protectorat a besoin de lui au cas où... au cas où je mourrais.
- Je te ne crois pas.
- Mais comme tu l'as dit, tu n'as pas accès à mes raisons. Alors il faudra te contenter de ça ! Explique-moi plutôt comment la régénération kérostatique fonctionne.
- La technologie Zashe est très en avance sur celle du Protectorat.
- Là, tu cherches à m'enfumer. J'ai déjà remarqué que la régénération pouvait se déclencher hors de stase. Ce n'est pas lié au caisson ou à la kéramyde. C'est le froid qui la déclenche, n'est-ce pas ?
- Je n'ai jamais dit le contraire. Où veux-tu en venir ?
- Ce qui permet la régénération se trouve en moi. Est-ce un appareil ou une hybridation de mes gènes ? Tu m'as dit que tu avais copié nos codes génétiques, je ne pense pas que tu les aies modifiés. C'est donc un appareil !
- Quelques Scalaires se sont essayés à l'hybridation, mais c'est un travail de longue haleine, qui conviendrait mieux aux Zashes. Nous n'avons pas poursuivi dans cette voie. Pour autant, ce n'est pas un appareil non plus.
- Alors comment ? Je dois le savoir."
Un jeune homme surgit par l'entrée principale, la lueur de la macula dans ses yeux trahit sa nature de parasite. Les barricades ne sont pas encore totalement édifiées. Tant pis : on ne peut se battre qu'avec les armes qu'on a. Je ne laisse pas à notre intrus le temps de s'orienter, je projette une de mes doubles lames. Il lève un bras pour se protéger mais trop tard : mon arme s'enfonce dans son crâne. Je devine d'autres créatures qui approchent.
"Alors ?
- Tu n'as pas un combat à mener ?
- C'est peut-être le dernier, j'ai droit à des réponses !"
Deux nématodes se ruent à la suite de leur camarade. Je n'aurais peut-être pas dû lancer mon arme, après tout. L'un d'eux se jette sur moi, alors que l'autre reste en retrait. Erreur stratégique. Dans un même mouvement, je tranche le poignet et la carotide de mon assaillant. Il vient s'écraser sur une armoire renversée où mes acolytes le finissent à coups d'armes improvisées. Deux nouveaux ennemis entrent déjà dans mon champ de vision.
"- Vous êtes des copies conformes de vos Terriens. Le même code génétique."
Je n'ai pas le temps de lui dire que ses réponses ne m'avancent pas. J'utilise mon premier adversaire comme bouclier, et ma double-lame s'ouvre un passage de sa gorge à son cerveau. Quand je le fais basculer, l'épée du suivant arrive à se faufiler sous ma garde, elle mord tout à la fois le harnais et la chair en dessous. Tout en roulant vers l'arrière, je balance ma seconde arme qui heureusement atteint son but. La pièce se remplit plus vite que je ne la vide.
"Mais vous autres, les humains de la Terre, vous être trop arrogants pour vous souvenir que vous êtes des symbiotes."
Ils sont maintenant quatre, cinq si on compte celui qui reste près de la porte. Même sans armes, je repars à l'assaut. Je ne dois pas leur laisser le moindre répit.
"- Tu mens ! Elizabeth s'y connaît en biologie."
Je m'apprête à encaisser l'assaut des deux parasites les plus proches. Mais celui de gauche est stoppé net par une pertuisane qui se fiche dans son abdomen. Un bon jet pour des civils. Pas de quoi le tuer, mais ça me donne l'occasion de reprendre l'avantage.
"- Arrogante."
Du bras gauche, je pare un coup de poignard qui vient mourir contre mon cubitus. Une fois la pertuisane récupérée, je balaye mes deux adversaires, et d'un coup net j'en embroche un en plein cœur. L'autre essaye de me frapper les jambes, mais j'ai un temps d'avance : je suis déjà en train d'en repousser deux autres.
"- Tu racontes n'importe quoi, Scalaire. Les humains sont autonomes.
- Tu te laisses submerger. Par tes certitudes et par tes ennemis."
Il n'a pas tort : un coup de masse me renvoie contre la barricade. De justesse je dévie une épée, qui ne fait que m'entailler le flanc. De ma main libre, je broie la trachée du parasite. Il mourra dans quelques minutes, je ne vais pas finasser.
"- A part quelques organites...
- Oui ?"
De l'autre côté de la salle, je vois mes acolytes enflammer des parasites avec des sortes de cocktails molotov. Le feu n'est pas la meilleure arme contre eux, mais ça reste une bonne façon de les ralentir.
"- Les mitochondries ?
- Exactement !"
Ma pertuisane s'enfonce entre les vertèbres d'un parasite, mais avant que je ne puisse la retirer, elle m'est arrachée des mains. Je suis en train de faiblir : je perds mes forces.
"- Je ne comprends pas."
Je plonge sur le côté, et je jette de toutes mes forces le poignard que je viens juste de récupérer. Il s'enfonce profondément dans le sternum de mon adversaire, mais j'ai raté le cœur. Il continue d'avancer vers moi.
"- Modifier votre code génétique aurait nécessité de nombreuses tentatives et pour chacune d'entre elles des cobayes. Ce n'est pas notre façon de faire. Tu ne comptes pas le tuer celui-là ?"
J'aimerais l'y voir. Le mastodonte me domine de toute sa force, et je n'arrive pas à atteindre le poignard qui dépasse de son torse.
"Il était plus simple de vous transmettre mes mitochondries."
Un violent coup de genou m'a privé du peu d'air qui me restait. J'espère que mes acolytes arrivent à se débrouiller sans moi.
"Les Scalaires sont issus des glaces de Nebba. Encore maintenant, le froid active les propriétés enfouies dans nos cellules."
Les miennes de cellules semblent à l'agonie. Mon adversaire utilise tout son poids pour m'étouffer, il y parvient plutôt bien. Ses yeux emplis de macula sont fixés sur les miens. Il guette mon dernier soupir. En fin de compte, je ne saurais jamais ce que Luca pense de moi.
"Iz ?"
Il y a comme une seconde de flottement, comme si tout semblait s'arrêter. Puis un scalpel rentre dans l'orbite de mon agresseur. Pas assez profondément, mais d'un violent coup de tête je finis le travail. Je profite du mouvement pour essayer de me dégager.
Le jeune Médicum me tend la main : "J'ai pensé que vous aviez..."
Mais il ne pourra jamais finir sa phrase : une lame fine le transperce de part en part. Sans m'en rendre compte, j'ai extrait le poignard du sternum de mon dernier ennemi. Je prends une fraction de seconde pour analyser la situation.
A mon grand étonnement, je vois le nématode qui était resté près de l'entrée s'enfuir. Je n'ai pas le temps de m'appesantir là-dessus, mais c'est un comportement inhabituel. Les parasites restants (ils sont sept) se retournent dans ma direction.
Tout en me ruant à leur rencontre, je crie quelque chose que je n'aurais pas cru possible: "A l'aide !"
Mes acolytes enjambent la barricade et viennent à ma rescousse. Autant que possible ils harcèlent les nématodes, et je profite de chaque instant pour les acculer. La surprise les a désorganisés, et nous finissons pas les tuer tous.
Mes sauveurs viennent me soutenir, mais je les repousse.
"Occupez-vous du jeune Médicum, il a peut-être encore une chance. Si vous avez été blessé, cautérisez vos plaies à la kéramyde ! Que les plus alertes vérifient s'ils ont pu s'infiltrer par les côtés, et..."
Je manque de défaillir. Mais je crois pas que ça soit une désynchronisation, pas encore. Juste une faiblesse terriblement humaine.
"- Exécutrice ! Vous m'avez sauvé, vous avez été extraordinaire !
- Gouverneur ?
- Oui! J'ai tout vu. C'était...
- Écoutez-moi. Je vais m'évanouir, ce qui me fera me désynchroniser. Voici vos ordres : faites transférer deux gallons de mon sang à Taylor, puis faites le refroidir à 85 degrés."
Une voix dans ma tête m'interrompt : "- L'hémolyse le tuera, mon enfant.
- Ou tes mitochondries le sauveront. La Lumière seule le sait."
Je me concentre sur le gouverneur.
"Vous croyez qu'un caisson de stase et un fonceur tiendraient dans l'un de vos orni-mates ?
- C'est probable.
- Alors envoyez-moi à Gharr !
- Mais qui va sauver Esmyrion ?"
Je n'ai pas le temps de lui dire que c'est la Reine qui sauvera Esmyrion : je suis déjà en train de m'évanouir. Ce que je sais c'est que si la Reine est morte, alors Nebba est déjà perdu.