Tout le monde jouait son rôle. Mais aujourd’hui, il avait besoin d’être Coviello, bien plus que le jouer. Son espoir était ténu, mais il ne lui restait que cela.

Gérald, lui, ne semblait pas très à l’aise dans son rôle et Nils se doutait bien pourquoi. Mais il n’avait ni le temps ni l’envie de s’apitoyer. Il était persuadé que son cousin les avait trahis, ce qui le mettait bien au-delà de toute compassion.

“ – Tu vois, Gérald, c’est du sérieux cette fois… Tu avais raison, ils sont bien plus puissants que je n’avais imaginé. Bien plus déterminé aussi.
– Bah oui, je te l’avais dit. Ça finirait forcément mal. Je suis vraiment désolé, c’est pour ça que j’ai pas voulu te rejoindre.
– Sans doute que tu as fait le bon choix. Mais on a un tempérament différent, toi et moi. Et même maintenant, même après tout ça, je crois que je continuerais si je pouvais ! Seulement…
– Attends parce qu’il est arrivé quoi au juste ?”

Nils le laissa mariner. Il voulait que son cousin soit réceptif, que ses paroles s’ancrent au plus profond de lui. Un espoir ténu, le seul qui lui restait. Il allait devoir entremêler mensonges et vérités.

“ – Peu importe ce qui est arrivé. Des choses graves, et même plus… Mais c’est pas pour ça que je dois arrêter. Je suis papa.
– Ah ouais ? Gérald encaissa l’information.
– Oui, un petit garçon, Léo. Braillard mais mignon comme tout. C’est pour ça, il faut que je me mette à l’abri pour un temps.
– Pffiou, ah oui, ça change les choses. Ah ça, qui aurait cru ? Ben si tu veux je peux vous héberger un peu.”

A quel point l’offre de Gérald était honnête ? Nils n’aurait su le dire. Son cousin n’était pas un mauvais bougre, et un bébé, ma foi, emportait la sympathie de tout le monde. Mais Gérald avait des mauvais choix, et Nils n’était pas prêt à courir un tel risque.

“ – C’est gentil, Gérald. Mais je ne veux pas te faire courir un tel risque, contra Nils espérant faire culpabiliser l’autre. Non, je suis venu à toi pour autre chose. J’ai besoin d’un service.
– Oui, bien sûr, lui répondit Gérald très embêté. Dis-moi comment je te peux t’aider, hein ?
– Il faut que tu gardes un truc pour moi. Et Nils lui tendit la Dame aux Camélias. Juste ça.
– Oui, oui, d’accord, souffla Gérald rassuré. C’est tout ?”

Nils s’accorda une petite pause. Il voulait que l’atmosphère s’alourdisse un peu. Un espoir unique et bien fragile. Il répondit enfin :

“ – Oui, c’est tout… Je ne veux pas te mettre en danger. Je reviendrais le chercher dès que possible. Dans quelques mois, sans doute. Et…
– Et quoi ? Parles, tu me fait peur.
– Oh ça, non, sûrement pas assez. Je veux juste que… si je ne reviens pas le chercher… ou si tu apprends qu’il m’est arrivé quelque chose…
– Attends, parle pas de malheur. Gérald semblait au supplice.
– On sait jamais, ça pourrait arriver. Nils se plaisait à remuer le tisonnier de la culpabilité. Bref… tu l’enverras à mon père. J’espère qu’il saura quoi en faire.”

Et il commença à prendre congé de son cousin. Mais celui ne l’entendait pas de cet oreille.

“ – Attends Nils, attends, tu peux pas partir comme ça. Même si je suis pas malin je me doute que c’est pas un simple livre. Il y a quoi là-dedans ?
– C’est trop dangereux d’en parler… Des hommes sont prêts à tuer pour l’avoir, ou même pour que personne d’autre ne le voie. C’est pour te dire !
– Nils, Nils, c’est quand même pas à ce point ?… La Famille, ils sont pas comme ça.”

L’estocade, le petit espoir. Nils n’avait pas besoin de faire semblant pour cette partie là.

“ – Dis-le à Julia. Ils l’ont abattue parce qu’elle avait lu ce dossier… Tu verras dans la tranche, il y a une coupure de presse, quelques mots… Nils ne faisait pas semblant, la rage était bien là.
– Julia ?? Julia ? C’est pas possible, elle était si gentille… Qui a fait ça ?
– Grant, l’acolyte du Patriarche. Je pense qu’avec l’oncle Frantz, ils veulent évincer le Patriarche. Tu tiens les preuves entre les mains. Ils tueront quiconque a lu ça… Tu vois, je te mets en danger, alors que tu fais tant pour moi.”

Gérald devait goûter des sacrés charbons ardents, Nils entendait presque les rouages tourner dans son cerveau. C’était presque triste de lui faire subir tout ça, mais après tout, à sa façon, c’était lui le plus qualifié. A une époque pas si lointaine, ils étaient amis.

“ – Mais tu dis que ce Grant, c’est l’homme du Patriarche ? Mais il travaille pour Frantz ?
– Oui… C’est un peu compliqué. Pour ce qu’on en sait, notre cher oncle a réussi à convaincre tout le monde qu’il fallait moderniser le fonctionnement de la Famille. Et au passage il a réussi à placer un homme à lui. Grant. On fait encore des recherches sur lui. On pense que c’est un ancien de la Légion Étrangère. Difficile d’obtenir des détails dans ce milieu, ils sont discrets. Mais rudement moins conciliants que le Patriarche, tu peux me croire. C’est ta mère qui avait raison : il vaut mieux se tenir à l’écart de tout ce monde là !”

Nils avait un peu brodé en disant que Frantz et Grant voulait évincer le Patriarche, mais au fond était-ce totalement faux ? Et il voulait que cette impression guide les prochaines actions de son cousin.

Tout le monde jouait son rôle. Et avec les cartes qu’il avait distribuées, il espérait bien que Gérald jouerait le sien.