Le destin prend parfois des chemins bien tortueux. On pourrait avoir l’impression qu’il cherche à nous perdre…
Nils en était là de ces réflexions quand le ferry atteignit l’île. Ca faisait belle lurette qu’il avait jeté ses camélias dans les eaux de la baie. Pas à dire, il n’était pas son assiette. Il n’avait pas la moindre idée de la façon dont Eryn allait réagir. Pas très bien sans doute…
Il en était arrivé à cette conclusion en retournant sa lettre dans tous les sens. Fausse Direction ? C’était idiot : Eryn était née ici, ses parents aussi. Elle avait cette île dans le sang, littéralement. Le bleu délavé de ses yeux le prouvait bien assez. Non, Fausse Direction ne pouvait vouloir dire qu’une chose : elle avait refusé sa lettre.
Bon, il fallait s’y attendre. Elle était fâchée. Il comprenait ça. Il aurait dû revenir ici depuis bien longtemps. Une lettre, ce n’était pas suffisant. Mais maintenant qu’il était là, les choses allaient reprendre leur cour. Il ferait amende honorable, bien sûr. Il se sentait près pour ça.
Ses camarades de la troupe de théâtre avait mollement essayé de le retenir. A la réflexion, ils devaient bien sentir qu’il avait la tête ailleurs depuis cette histoire de la prison. Ce n’est pas sans tristesse qu’il avait abandonné Coviello. Mais il le faisait en conscience, son choix était le bon.
Il erra un long moment sur le port. Difficile de ne pas se sentir nostalgique en ces lieux. Les souvenirs, trop longtemps retenus, remontaient en longues bouffées. Il retrouvait tout comme s’il n’était parti que la veille. L’arceau en fonte auquel ils attachaient leur vélo. Le bar où ils venaient prendre leur chocolat chaud. Tant de lieux…
Il n’avait pas prévenu ses parents, ce qui n’allait guère leur plaire. Mais il était persuadé que l’information était remontée, via Julia, Gérald ou Andrea. Il était étrange qu’il faille les créer un problème pour en régler un autre. Il verrait cela en son temps. Il espérait qu’ils comprendraient.
Quand il était Coviello, tout était tellement plus simple. Il était alors retors et rusé. Il pouvait tourner chaque chose à son avantage. Et sans être Lélio, il avait beaucoup de succès auprès des jeunes femmes. Il n’aimait guère s’en vanter, mais honnêtement plus d’une auraient été prêtes à… enfin, il ne savait pas exactement jusqu’où elles auraient prêtes à aller, puisqu’il les avait toujours gentiment repoussées. Disons, qu’une fois ou deux… il avait laissé le jeu de la séduction aller un peu plus loin. Mais jamais… enfin, jamais trop loin non plus.
Il partit en direction de la plage. Là, ça serait l’idéal : la retrouver sur leur plage. Il se disait que, peut-être, elle allait parfois là-bas. Pour penser à lui, pour se souvenir. Et d’avoir refusé sa lettre, elle devait beaucoup penser à lui ces derniers jours. Bien sûr, ce n’était rien de plus qu’une théorie sans guère de fondements. Mais le romantisme qui en découlait lui plaisait beaucoup.
Il y avait du monde sur la plage, mais pas Eryn. Bon, il fallait s’y attendre. Quand bien même elle venait chaque jour sur la plage, s’y trouver ensemble au même moment aurait tenu de la coïncidence. Tant pis. Le réalisme prenait souvent le pas sur le romantisme.
Sans vraiment y prendre gare, ses pas le ramenèrent vers sa maison. Enfin, ce qui avait été sa maison. Celle où il avait grandi. Pour l’heure, elle semblait inhabitée. Les volets clos, la peinture défraîchie… Quelques tuiles brisées aussi. A pas lents, il fit le tour, attentif aux petites choses. Il eu la certitude que la maison n’avait plus été occupée depuis qu’il était parti. Étonnant… Même s’il n’avait jamais évoqué la question avec ses parents, il était parti du principe que la maison avait été vendue dès qu’ils en étaient parti. Il leur demandrait.
L’étape suivante, moins de cent mètres plus loin… Bon sang, comment pouvait-il avoir un tel trac ? Jusque là, il n’avait jamais eu le trac une seule fois. Enfin, disons… si. Il avait le trac. Et à chaque fois, même. Mais pas autant, oh non ça jamais. Il respira, plusieurs fois, lentement. Il en appela à Coviello. Lorsque qu’il se sentit un peu plus calme, il alla jusqu’au perron. Il approcha le poing pour frapper. Allez… juste une seconde de courage.
Deux coups secs – toc toc. Son coeur battait si fort qu’il n’entendait rien de ce qu’il pouvait se passer à l’intérieur. Ah si… des bruits de voix. Encore quelques instants. Il n’y tenait plus. Des bruits de pas étouffés, menus et rapides. Elle arrivait. La poignée s’abaissa et puis deux yeux bleus délavés apparurent dans l’encadrement de la porte. Un bleu inimitable.
Mais le reste ne collait pas. La petite fille qui venait d’ouvrir devait avoir, combien, deux ou trois ans, pas plus. Il avait l’impression de l’avoir déjà vu, et pour cause, c’était le portrait craché d’Eryn. Nils avait l’impression que le sol se dérobait sous lui. Le regard de la petite, jusqu’à son sourire, son visage, tout dans sa posture n’était qu’une question : qui es-tu ?
Le destin prend parfois des chemins bien tortueux. On pourrait avoir l’impression qu’il cherche à nous perdre…